Picaro et le syndrome Dragon Lance





Ça fait un petit moment maintenant que je me penche sur le phénomène OSR, et ce que je trouve toujours au coeur du débat, c'est la question de ce qui définit le style de jeu old school.

J'y ai vu toutes sortes de réponses, depuis le rulings, not rules, en passant par player's skill above character skill.
Mais récemment, une discussion en particulier a retenu mon attention et alimenté mon esprit de riches conjectures.

C'est un corollaire de la mortalité élevée attribuée aux jeux old school, et de la volonté de respecter les règles à la lettre.

Ce corollaire nous amène à la dichotomie entre l'émulation de deux genres narratifs complètement différents, à savoir le roman picaresque par opposition à la quête héroïque.

J'ai commencé le jdr avec des jeux qui visaient surtout le second, c'est à dire une histoire où les protagonistes PJ sont des héros, avec un rôle à jouer dans l'univers de jeu.
Il y a une quête héroïque, une tâche à remplir, et les personnages y sont rattachés par diverses raisons et motivations qui donnent autant d'enjeux dramatiques à l'histoire.
C'est un style de jeu très gratifiant, parce que les joueurs deviennent à leur tour les héros de leur propre saga, à l'image des personnages principaux de nos oeuvres de fiction préférées, telles Star Wars ou Le Seigneur des Anneaux.

Mais c'est aussi le style de jeu dont beaucoup de puristes de l'OSR ont la plus sainte horreur.
Parce que la réussite de l'histoire repose sur la survie et la victoire des héros. Parce que l'investissement dans le drama justifie une certaine immunité scénaristique à minima à la mort dénuée de sens ou de portée. Aragorn ne va pas se faire tuer par un orque anonyme, et la mort de Boromir n'est pas une bête défaite au combat.

Aujourd'hui, beaucoup de jeux modernes embrassent pleinement cette optique, et mourir autrement que de façon dramatiquement appropriée est devenu extrêmement difficile, même dans la dernière itération du vénérable Donjons & Dragons.

Mais les puristes du old school renient pour la plupart en bloc ce concept, dont beaucoup tracent la paternité à la campagne Dragon Lance pour AD&D. En effet, celle-ci est peut-être bien historiquement la première où, pour pleinement profiter du souffle dramatique, il est idéal que les personnages survivent tous jusqu'à la fin.

Et c'est là où le récit dit picaresque prend l'exact contre-pied, celui qui est cher aux aficionados de l'OSR.

En effet, une des volontés du jeu old school, qui se structure du coup souvent comme un mélange de défis impersonnels (les fameux modules de l'ancien temps), et d'univers bac à sable, c'est de préserver la liberté d'action des protagonistes et d'offrir, en guise de fil narratif, leurs péripéties immédiates et les conséquences cohérentes de celles-ci.

Point donc d'enjeu dramatique supérieur qui guiderait l'existence et la motivation des PJs, mais bel et bien des enjeux immédiats, et une certaine vraisemblance biographique aux aventures.
Si les joueurs ont des aspirations héroïques, tant mieux pour eux, mais c'est la dure réalité des règles appliquées de manière impartiale qui décidera de leurs succès à s'y conformer.
Et libre à eux d'emprunter la voie des gredins et des roublards pour parvenir à la réussite, le jeu ne récompensant pas davantage un comportement ou un autre.
Et dans les deux cas, l'éventualité omniprésente de la mort du personnage ajoute le piment qui fait que chaque décision et chaque jet de dés sont chargés de suspens.

L'attrait de ce style de jeu, pour opposé qu'il soit à la valorisation personnelle de la saga héroïque, m'est apparu récemment pour des raisons complètement différentes de ce qui me faisait m'asseoir derrière l'écran jusque là.

L'idée d'explorer cette liberté, de faire en sorte que, sans hiérarchie dramatique, chaque rencontre, chaque instant de l'aventure peut tout changer, me ramène à l'émerveillement de ma prime jeunesse de rôliste, quand il n'était pas forcément plus important de faire de grandes choses que de partir à l'aventure sans savoir de quoi demain sera fait, sans autre limite que celle de l'imagination.

Traditionnellement, le Picaro est un gagne petit d'origine modeste qui lutte (souvent en vain) pour échapper à sa condition. Et aujourd'hui, après des années de quêtes épiques et de glorieux héros, je me verrais bien tenter d'arbitrer les tribulations de ce genre de larron, pour changer...

(Reste à trouver le jeu qui saura m'y amener, mais j'ai quelques pistes...)

Commentaires

  1. Pleinement Picaro, voici une claire définition de ce que je recherche en jeu de rôle. Merci :)

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  2. reste niveau 1 à d&d1, ou tente nightprowler

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  3. Belle analyse, bien argumentée et cohérente. Je n'avais jamais vu les choses comme ça.
    Merci.

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