Aujourd'hui,
dans (d)20 ans derrière l'écran, un sujet qui me tient à cœur.
L'alignement.
Elément presqu'entièrement réservé à Donjons & Dragons
et ses quelques clones ou descendants, des jeux avec lesquels je n'ai pourtant
pas tant de vécu que ça.
Et pourtant, depuis que j'ai eu l'occasion de toucher à ce
sujet (parfois sensible) et aux problématiques attenantes, j'ai un faible pour
les discussions à ce propos.
Essayons donc de faire un peu le tour de la question.
L'origine de la chose (et les complications qui viennent vite avec)
L'alignement
est une notion (presque) aussi vieille que le père de tous les jeux de rôle
lui-même.
Elément constitutif du personnage dans Donjons & Dragons
(et ses itérations subséquentes), l'alignement a pour vocation de donner une
ligne de conduite éthique/morale au héros créé par le joueur.
Fondamentalement, il ne s'agit donc que d'une
"aide" au role-play à l'époque où la notion de "développement du
personnage" n'est pas encore clairement établie, quand le jeu oscille
purement entre exploration et bac à sable.
Pas vrai ?
Et bien pas tout à fait.
A l'origine, l'alignement ne se définissait que selon un
seul axe. Un personnage était soit fidèle à la Loi, soit au Chaos, soit neutre.
La saga d'Elric le Nécromancien, une des premières apparitions littéraire des concepts absolus et métaphysiques de la Loi et du Chaos. |
Proches des évocations littéraires de Michael Moorcock dans
ses différentes incarnations du Champion Eternel (du cycle d'Elric le
Melnibonéen jusqu'au futur tragique de Hawkmoon, en passant par la cité
multi-dimensionnelle de Tanelorn), ces notions sont simples et directes.
La Loi est le principe d'organisation, de construction, et
d'une certaine façon, de prospérité et de stabilité de l'univers. Même si, chez
Moorcock, la Loi et ses Seigneurs sont tellement implacables qu'ils en
deviennent carrément hostiles à toute liberté, somme toute, le principe, dans
D&D est simple. Est Loyal ce qui est fondamentalement constructif, porteur,
et, globalement, bénéfique.
Le Chaos à l'opposé est la force de destruction, d'entropie,
et d'aléa total. Là aussi, Moorcock nuance la chose puisque SON Chaos est AUSSI
la force qui permet le changement, et in fine, l'évolution et la reproduction
de la vie, mais il reste tellement aberrant et insaisissable que rien de viable
dans le sens humain ne puisse vraiment en émerger. (Oui, Moorcock aime les histoires
tragiques, on confirme).
Dans D&D, originellement, est donc Chaotique ce qui est
destructeur, ennemi de la vie, monstrueux, et, globalement, maléfique.
Et déjà, sur la notion de Neutralité, on commence à
trébucher.
Idéalement situé entre les deux extrêmes, là où pourrait se
faire un équilibre si l'interprétation était à 100% Moorcockienne, on se
retrouve surtout dans D&D avec l'idée que le Neutre est indifférent, et
qu'il n'intervient pas… ou alors, un peu plus loin dans le texte, avec celle
que le Neutre est TELLEMENT dévoué à l'EQUILIBRE entre les deux forces qu'il
est prêt à changer de camp chaque jour pour éviter que l'un ou l'autre ne
l'emporte.
La porte était ouverte aux discussions philosophico-ésotériques
autour des tables de jeu.
Et ça ne faisait que commencer.
Comment rendre plus compliqué ce qui l'est déjà pas mal
Que les
joueurs puissent se disputer sur les concepts d'alignement ne serait pas un si
gros problème si le concept s'arrêtait à un simple guide au role-play des
personnages.
Une des première représentation graphique de l'agencement des alignements de Donjons & Dragons |
Mais non. Les alignements sont, à nouveau comme chez
Moorcock, des parties intégrantes et bien concrètes de l'univers de
personnages.
Des sortilèges permettent de les détecter, ou d'agir
spécifiquement contre l'un ou l'autre. Des objets magiques ont des effets
spécifiques en fonction de l'alignement de leur utilisateur. Et au niveau
métaphysique, l'univers lui-même est "polarisé" par ces forces
opposées.
Et en parlant de forces opposées, ne nous arrêtons pas en si
bon chemin.
Car pourquoi n'en avoir que deux (et donc 3 alignements
possibles), si on peut en ajouter DEUX AUTRES, sur un axe perpendiculaire (et
donc en arriver à 9 alignements possibles).
C'est ce qu'a proposé Donjons & Dragons dès sa première
édition "Avancées" des règles.
Et c'est là que les choses se sont vraiment corsées, car ce
deuxième axe était CELUI DU BIEN ET DU MAL.
On composait donc son alignement à partir de ces 4 forces
fondamentales… et d'un coup, la Loi n'était plus synonyme de bien, ni le Chaos
de mal, dans la mesure où on pouvait très bien être Loyal ET Mauvais, ou
Chaotique ET Bon.
A partir de là, même si les livres de règles des jeux
utilisant les alignements ont toujours essayé d'avoir au moins une certaine cohérence
interne (et une description plus ou moins précise de ce que représentaient les
différentes combinaisons d'alignement en terme de personnalité), on s'est vitre
retrouvé avec un sac de nœuds.
Les discussions, et même les essais dans la presse spécialisée,
ont commencé à fleurir de toute part.
Pouvait-on faire passer la Loi avant le Bien, ou vice-versa,
quand l'obéissance à la hiérarchie et au protocole conduisait à des actes
injustes ?
Un personnage Chaotique est-il OBLIGE de se défier des systèmes
sociaux et de l'ordre établi, même quand ils vont dans son sens ?
Etre Mauvais, était-ce être égoïste et méprisant de la vie
d'autrui, ou bien fallait-il activement PROMOUVOIR la victoire du Mal ?
Avec Batman, un exemple frappant de la diversité des interprétations possibles quant aux alignements... |
La liste est longue, et elle n'a cessé d'être alimentée,
entre autre parce que non seulement ces forces étaient toujours partie
intégrante de la cosmogonie du jeu, mais aussi parce que les règles stipulaient
maintenant clairement qu'un personnage qui ne suivait pas les comportements
dictés par son alignement subissait un malus dans sa progression. Mieux valait
donc avoir des définitions claires et définitives si on voulait jouer dans
l'esprit du jeu.
(Si on y ajoute que les discussions sur les alignements
pouvait vite amener des joueurs à confronter leurs interprétations personnelles
et POLITIQUES du bien et du mal, de l'esprit de la loi, etc… on imagine vite
qu'à certaines tables, le feu a atteint la réserve de poudre)
Alors l'Alignement, pour quoi faire ?
Dans la
mesure où l'histoire du jeu de rôle s'est vite émaillée de nombreuses
alternatives à D&D, qui n'utilisaient pas l'alignement (ou du moins pas tel
quel), ou que des joueurs vraiment déterminés et gênés par le concept pouvait
très bien bricoler leur jeu préféré pour le supprimer, on pourrait se demander
quelle utilité de tergiverser sur la question quand on peut très bien la
contourner.
Mais comme tous les concepts forts du jeu de rôle (et de la
littérature qui l'a engendré, ou alors qui en est issue), je vais me faire le
défenseur de ce qu'il peut y avoir d'intéressant à en tirer.
L'agencement des plans de l'univers de Donjons & Dragons (jusqu'à sa 3ième édition), dans une vision colorée et poétique. |
Premièrement, l'idée qu'un univers tout entier puisse avoir
des polarités métaphysiques qui influent et touchent la psyché de ses habitants
est une idée qui peut être très, très porteuse.
Que ces "forces" fondamentales aient des
consciences, des intentions, des serviteurs, ou au contraire qu'elles soient
purement vectorielles, dans tous les cas, il y a là quelque chose qui nous
permet déjà de différencier profondément cet univers du notre.
Et les œuvres qui font usage de concepts similaires sont
nombreuses à avoir remporté du succès.
La Force, dans Star Wars, est omniprésente et polarisée.
Toute une ligne de comics, Crossgen, est articulée autour de plusieurs mondes/plans
d'existence marquée par l'opposition de forces complémentaires mais opposées.
Moorcock, évidemment, a déjà été cité.
Sans oublier que D&D lui-même, le long de ses
différentes éditions, s'est enrichi de publications d'excellentes qualités
autour du thème des alignements et des plans et pouvoirs qui y correspondent.
Ensuite, parce que les alignements sont aussi un fabuleux
outil pour les bâtisseurs de mondes que nous pouvons être, quand ils sont
utilités à bon escient.
Pouvoir se faire une ébauche rapide d'un personnage, d'un
royaume ou d'une divinité parce qu'il est facile d'en définir l'alignement est
un gain de temps et d'inspiration précieux, qui peut s'émailler ensuite
d'autant de subtilité que l'on voudra bien en utiliser, au goût de chacun.
(J'ai personnellement dû réviser L'INTEGRALITE du système
d'alignement quand je me suis mis à un cousin de D&D - Castles & Crusades - avec ma table pour
pouvoir travailler confortablement avec, mais je suis extrêmement heureux du
résultat final et de l'utilisation que notre table en a maintenant… a priori
mes joueurs aussi).
Enfin, parce que pour les joueurs, l'alignement, plutôt
qu'un frein, peut aussi être un merveilleux ressort de jeu. Que ce soit en cas
de doute sur la conduite à tenir, ou comme source d'inspiration pour un bon
rebondissement dramatique (dans l'intérêt de la tablée, hein), avoir un
alignement, spécialement dans un univers qui le prend en compte de façon
effective, est une ressource de plus pour sentir sa prise sur un personnage, et
se projeter au travers lui.
Et quand tous ces aspects marchent main dans la main, c'est
toute une dimension qui vient s'ajouter au jeu.
Je
conclurai donc en appuyant clairement sur le fait, que, parce qu'il est souvent
lié autant au role-play qu'aux règles, le concept d'alignement est un de ceux
qui nécessitent le plus de consensus préalable autour de la table.
Que ce soit au travers de l'interprétation stricto sensus
que proposent les livres du jeu utilisé, par une entente souple et sans
intégrisme, ou une refonte totale à la sauce maison, tant que tout le monde
part sur la même idée, les alignements sont une potentielle richesse de plus
qui peut donner un style et une saveur particuliers à vos parties.
Et je le dis malgré ma relative réserve personnelle sur la
plupart des jeux qui utilisent ce système.
En vous souhaitant une bonne fin de
journée/nuit/matinée/cycle, (d)20 ans derrière l'écran vous remercie de votre
attention.
…
Et chez vous alors, il est de quel Alignement, Robin des
Bois ?
Viscéral Pleutre : ce mec a terrorisé l'ensemble d'un comté de la noble Angleterre, alors que le royaume était privé de son seigneur légitime, prisonnier des français. Il a constitué une bande de hors-la-loi, avec un curé défroqué et alcoolique, et ne s'en est pris qu'à des cibles isolées et vulnérables. C'était un bandit de grands chemins.
RépondreSupprimerDétrousser le riche pour redistribuer aux pauvres ? S'il l'on considère que sa bande était pauvre, je suis d'accord. Il a cherché à rançonner la noblesse locale en enlevant la petite Marianne, promise à un mariage somptueux (ou moins), et comme la rançon n'arrivait pas, il a profité d'elle, et du coup se l'est mariée avec la complicité du prêtre alcoolique susmentionné.
Non, décidément, ce mec n'était pas un type bien. D'ailleurs, quand le Roi Richard est remonté sur son trône, il te l'a fait pendre vite fait bien fait. Sinon, comment expliquer qu'il se soit arrêté? Il n'y avait plus de pauvres à nourrir ? Plus de riches à racketter ? Allons, allons...
Non, décidément Robin des Bois n'était pas un type bien.