On dit
souvent qu’une des particularités du jeu de rôle est qu’il n’y a pas de
gagnant.
Ce n’est pas TOUT A FAIT vrai, dans certains cas.
Aujourd’hui, deuxième volet sur les approches du jeu, et
nous allons nous intéresser au jeu "d’exploration".
C’est parti.
Un couloir, une porte, un monstre, un trésor
Le jeu
de rôle « originel » porte un nom aujourd’hui familier à tous, mais
qui n’a rien d’anodin.
Donjons.
Et Dragons.
Parce qu’il proposait, en premier lieu, exactement ce que ce
titre impliquait.
Des aventuriers partaient explorer des dédales souterrains,
les fameux donjons, et y affrontaient des monstres, entre autres les fameux
dragons (qui, soit dit en passant, représentaient en général le parachèvement d’une
carrière d’aventurier, étant, de facto, les monstres les plus puissants que l’on
puisse trouver dans lesdits donjons).
Les emblématiques cartes numérotées, outil fondamental du jeu de rôle d'une époque. |
C’est de cette mécanique claire, bien huilée, et en soi
facile à comprendre, qu’est née le jeu de rôle d’aujourd’hui.
Mais, si nos façons de jouer ont pu se diversifier, si le
furetage dans des souterrains humides et le massacre à la chaîne de monstres
toujours plus puissants et dangereux (et le gain subséquent des trésors que gardaient
ces dits monstres) n’est pas resté longtemps la seule option disponible, ce
principe fondateur n’a pas pour autant disparu du monde du jeu de rôle, loin de
là.
Dans l’idée première, ce principe consistait donc à occire
des bestioles hostiles, surmonter les dangers et les pièges des couloirs qui
menaient de l’un à l’autre, et accumuler en cours de route trésors et points d’expérience
afin de… pouvoir occire des monstres plus puissants et surmonter des pièges
plus dangereux.
Etc, etc…
Alors pourquoi cette spirale qui semble sans fin a-t-elle eu
autant de succès en premier lieu ?
Défis et jeux de dé
En
elle-même, cette façon primordiale de jouer, aujourd’hui appelée PMT (pour
Porte-Monstre-Trésor) peut sembler stérile, mais c’est déjà passer à côté d’un
des principes fondateurs du jeu de rôle : s’amuser.
Le PMT est un défi, sur deux plans.
Le premier se situe au niveau des règles, et invoque un mélange
de défi stratégique et de frisson du hasard.
Les systèmes de jeu orientés vers ce style ont des
mécaniques de résolution très claires pour tout un tas de tâches précises liées
à ces activités d’exploration et de combat. C’est même souvent leur fonction
première.
Le joueur va donc devoir apprendre à maîtriser les
subtilités de ces mécaniques, à en comprendre les rouages pour pouvoir les
utiliser de son mieux pour assurer non seulement la survie, mais aussi la
victoire de son personnage face aux obstacles et aux monstres rencontrés.
Ainsi armé, une partie de son plaisir va provenir de l’effort
stratégique qu’il va mettre dans sa progression, et l’autre partie, celle bien
connue de tous les amateurs de jeu, du frisson du hasard et du « risque »
quand les dés vont rouler et que les paris sont ouverts.
L’être humain joue depuis la nuit des temps, le rôliste ne
fait pas exception.
L’autre plan sur lequel se joue le défi, c’est le plan
social et intellectuel.
Hier comme aujourd'hui, notes et croquis sont une arme essentielle du joueur de PMT. |
Le jeu de rôle est une activité de groupe.
Les obstacles et les monstres, encadrés par les règles, c’est
le maître de jeu qui les anime.
Et dans le PMT, on est dans un des rares cas du jeu de rôle
où une partie du boulot du maître de jeu est bien de fournir un défi
potentiellement mortel (pour les personnages, hein !) aux joueurs.
Plus que dans n’importe quelle autre approche du jeu, dans
la mesure où il y a une victoire claire à atteindre pour les joueurs, celle de
triompher du donjon, de ses pièges et de ses monstres, le maître de jeu va donc
incarner cette opposition, et à ce titre, se faire "l’ennemi" des
personnages.
Ainsi va naître une compétition (qui est censée rester saine
et amicale, rappelons-le) entre les joueurs et le meneur de jeu, où l’astuce,
la réflexion, les énigmes et l’affrontement intellectuel et stratégique vont
aller bon train.
C’est aussi de là que vient une expression que l’on entend
parfois au sujet des jeux "à l’ancienne" : la compétence du
joueur prime sur celle du personnage.
Elle vient de ce que, hors des combats et de quelques
situations spécifiques, beaucoup d’action se résolvaient par la description et
le dialogue, en usant de logique, de savoir et de bon sens. Notamment parce que
les règles ne couvraient pas l’usage exhaustif de compétences techniques et de
savoir faire.
En tout cas, ans l’idéal, tout le monde va en tirer autant
de plaisir que d’une excellente partie d’échecs, avec James Cameron aux effets
spéciaux.
Et c’est ainsi que le Porte-Monstre-Trésor, première et
fondamentale itération des jeux d’exploration, a gagné ses lettres de noblesses
auprès de plusieurs générations de joueurs, et créé quantité phénoménale de
souvenirs impérissables.
Les éditeurs ne s’y sont pas trompés, et pour fournir aux
tablées des supports et des défis toujours plus élaborés, on a vu fleurir au
fil des années toujours plus de « modules », ces packs de cartes, de
données et de ressources qui permettent d’affronter des épreuves toujours plus
retorses.
Encore aujourd’hui, ce genre ancestral n’est absolument pas
mort, et le jeu vidéo lui sert souvent de béquille, dans la mesure où les "hack’n
slash" comme Diablo marchent main dans la main avec les instances des MMO
qui reprennent également le même principe.
Tous héritiers du PMT
J’ouvre
une petite parenthèse pour souligner à quel point cette approche originelle du
jeu de rôle a marqué nos façons de jouer, et s’infiltre encore dans nos
habitudes même quand nos objectifs à la table sont tout autres.
Le premier et plus flagrant héritage des PMT est sans doute
ce qu’on appelle la « protection de niche » des personnages.
Il est coutume d’avoir, à la création de personnages dans un
jeu de rôle, un certain nombre de choix, parfois mutuellement exclusifs, qui
vont orienter notre personnage sur une spécialité plutôt qu’une autre. Les jeux
avec des classes de personnage clairement définies sont souvent le meilleur
exemple, mais même dans les autres, il n’est pas rare que le jeu parte,
ouvertement ou implicitement, du principe que les joueurs vont créer des héros
spécialisés et complémentaires, et mécaniquement, les touche-à –tout sont en
général lésés dans leurs chances de succès au point d’être difficilement
jouables (ou alors que le jeu pèche par excès inverse en voulant se détacher de
cet héritage, et que les débrouillards soient systématiquement préférables aux
spécialistes).
Cette habitude trouve ses racines dans la technique que le
PMT avait trouvé pour assurer la cohésion dans un groupe alors même qu’il
pouvait y avoir compétition pour la victoire, et l’acquisition des récompenses.
Des spécialistes limités à des "niches" ne
pouvant pas affronter seuls les défis variés que l’aventure proposait, la
collaboration était une nécessité absolue pour s’en sortir, rendant ainsi le
partage de ressources obligatoire, sous peine de dépendre d’un collègue « sous-équipé »
à un moment critique qui pouvait causer la perte de tous.
Dans un autre registre, la précision et l’exhaustivité des
listes d’équipement dans de nombreux jeux est, là aussi, un reliquat.
Cette fois, de l’aspect stratégique millimétré des anciens
PMT, où la possession, la maîtrise et la qualité de l’équipement et des outils
était un des aspects clés du jeu de défis intellectuels et techniques que
posaient les donjons.
Cet aspect stratégique n’a jamais totalement disparu du
monde du jeu, et on voit encore souvent le réflexe de nombreux joueurs de
parcourir minutieusement la liste des matériels disponibles… pour être sûr de
maximiser leur chance de succès.
Un troisième, et peut-être le plus délicat, des héritages de
ce type de jeu est le syndrôme du "Maître contre Joueurs".
Comme nous l’avons vu, dans le PMT classique, c’est le
TRAVAIL du meneur de jeu d’opposer une franche (mais honnête) opposition au
joueur ; c’est dans l’intérêt ludique même du concept.
Mais ce biais est du coup aussi celui qui a "formé" toute une partie des premières générations de rôlistes.
A tel point que cet héritage s’est transmis de façon parfois
viscérale, et que, quel que soit le jeu et l’ambiance proposé, des joueurs et/ou
des maîtres de jeu se positionnent d’emblée de façon "hostile", et
cherchent à "gagner" le conflit.
Si cette façon de procéder peut sans problème s’adapter à
tous les jeux, elle nécessite par contre que tout le monde en soit bien
conscient et en ait envie.
Rien de pire qu’une partie où tout le monde n’est pas sur la
même longueur d’onde à ce sujet, et que les conflits alimentent hostilité et
incompréhension, ce qui va en retour générer plus de conflits, etc. ad nauseam jusqu’à
ce que tout le monde se barre, dégoûté.
On peut certainement énumérer encore beaucoup d’autres
héritages, flagrants ou vestigiaux, qui peuplent nos jeux et nos façon de
jouer, mais dans l’ensemble, je crois que ces trois points représentent les
héritages les plus directs que l’on puisse trouver.
Les explorateurs modernes
Au fil
du temps, le jeu de rôle s’est diversifié, et bientôt il est arrivé que les
personnages l’emportent sur la finalité de l’aventure (le bac à sable), où que
la victoire qui prépare mieux pour le prochain combat ne soit plus le seul
objectif (les aventure héroïque, à venir sous peu dans ces pages).
Rêve de Dragon, un jeu français, d'exception, et qui a fait date |
Et, tandis que le PMT gardait de son côté les aficionados
purs et durs, une autre branche, un peu plus timide, a poussé et s’est parée de
quelques floraisons intéressantes.
En effet, la logique d’exploration, celle de l’acquisition
non pas de puissance technique ou matériel, mais celle de la découverte, de la
cartographie et de l’émerveillement qui a animé également le PMT quand l’imagination
s’envolait, celle-là a pris son essor
propre.
Toujours en retrait, cette idée ne s’est cependant jamais
complètement éteinte.
Il s’agissait de jouer dans l’esprit des explorateurs
mythiques, des découvreurs, de pionniers.
Oui, comme dans le PMT, on affrontait bien des épreuves,
parfois des monstres ou des peuplades hostiles, mais la récompense était la
découverte, la satisfaction du succès, l’impression de construire un nouveau
monde en en révélant les mystères, en y établissant ses personnages.
On s’y lançait toujours des défis intellectuels, mais on
essayait aussi de s’impressionner, de s’émerveiller, de s’étonner et de
partager du rêve.
Guildes, avec ses différentes éditions, est peut-être le plus célèbre des jeux axés en priorité sur l'exploration et la découverte |
D’un jeu à un autre, les amateurs de ce style ont rarement
fait la une de l’actualité rôlistique, mais la plupart des jeux qui sont issus
de cette mouvance ont quand même toujours gagné leur place dans l’histoire du
JdR.
Cette approche reste une façon de jouer à part, où ni la
victoire, ni la dramatique des personnages n’ont tout à fait le premier plan.
Le premier héros de cette façon de faire, un peu comme dans
le bac à sable, est l’UNIVERS du jeu, mais cette fois les personnages sont destinés
à aller droit à sa rencontre, servant d’avatars à des joueurs désireux de le
découvrir.
Pour particulier qu’il soit, ce style de jeu est aussi d’une
richesse unique, parce qu’il se défait des impératifs "matériels" des personnages et de leur prépondérance, et qu’il donne aux joueurs plus que
jamais l’occasion d’échanger des ressentis, des idées, voire des opinions.
Et le Maître est ici pleinement récompensé pour son effort
créatif, puisque c’est précisément ce que le jeu va lui proposer de partager.
Numenera, dernier-né de l'auteur Monte Cook, reprend à cœur les notions d'exploration et d'émerveillement, avec une saveur pour le moins unique et particulière... |
Voilà
qui clôture le deuxième volet de cette réflexion sur les approches du jeu de
rôle et les différentes façons de s’en amuser.
Demain, dernier jours de la semaine, et dernière ligne
droite dans le jeu de rôle "classique", avec la dernière variante
des styles de jeu, celle qui fait des personnages les Héros de la Grande
Aventure !
Bonne journée à tous.
Juste deux réflexions sur le post du jour (d'ailleurs blog vraiment bien tant sur le fond que la forme!) : une etude publiée la semaine précédente dans Science laisse penser que l'homo sapiens a hérité ses comportements addictifs (comme le jeu) de neanderthal, quand il l'a "assimilé" si l'on puis dire (en echange, car il est taquin, neanderthal lui a aussi laisse le diabete et le lupus), donc voila, l'homme ne joue pas au "jeu" depuis la nuit des temps comme tu le disais mais y jouerait depuis qu'il a pique deux trois genes amusants a neanderthal ;)
RépondreSupprimerEnfin, concernant la relation MJ/joueur, il n'y pas forcement qu'une confrontation sous jacente, meme dans les jeux types D&D: j'ai vu tellement de MJ se faire acheter par quelques bières... ;)
Il y a donc Confontration la plupart du temps, mais aussi quelquefois corruption... ^^
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