Blade Runner; Deckard analyse de l'imagerie sur un écran
cathodique, alors même que la capacité d'agrandissement dépasse l'entendement.
La Guerre des Etoiles; le Faucon Millenium enjambe les
années-lumière en quelques minutes, et les droïdes parlent des millions de
langues, et pourtant l'informatique semble reléguée au rang de ce qu'on peut
faire avec un Amstrad CPC. Et les communicateurs ne peuvent même pas envoyer de
messages-texte…
Battlestar Galactica; les intelligences artificielles que
les humains ont construites arrivent à fomenter des plans pour réduire
l'intégralité des douze colonies à néant, et l'Amiral Adama donne ses ordres
par téléphone filaire et ondes radio.
Les
dissonances dans les technologies, les mœurs sociales, les moyens disponibles,
partout. Dans nos œuvres cultes. Dans les nouvelles vagues du Grandeur Nature. Dans
des univers littéraires et rôlistiques qui s'y dédient maintenant
presqu'entièrement. Space Opera, Steampunk, anticipation low-tech, tant et tant
de mondes de nos imaginaires dans lesquels l'évolution et le progrès semblent
avoir avancé à deux vitesses, si ce n'est plus.
Qu'il soit justifié scénaristiquement, ou juste pris comme
postulat, où que nos regards se portent, on peut croiser des "rétro-futurs".
Alors disséquons un peu le phénomène.
Le rétro-futurisme, qu'est-ce que c'est ?
Dans le
principe, et l'origine du mot, le rétro-futurisme est une anticipation d'avenir
qui nous vient d'un passé plus ou moins proche.
Autrement dit, le futur (et son lot d'innovations), tel
qu'on l'envisageait autrefois.
L'acquisition de cible des chasseurs rebelles de Star Wars. Pas vraiment ce à quoi on s'attendrait aujourd'hui de la part de vaisseaux capables de passer en hyperespace. |
Du rétro-futurisme, on en trouve aujourd'hui par Jules
Vernes et ses inventeurs prodigieux, par George Orwell et son 1984 qui est
aujourd'hui à la fois bien dépassé et terriblement d'actualité, on en trouve
dans ces magazines des années 80 qui nous prédisaient des voitures volantes
pour l'an 2000.
Et on en trouve, parfois à dessein, parfois à cause du passage
du temps, aussi dans nos jeux de rôle.
Ce qui distingue et catégorise spécialement le
rétro-futurisme, c'est son INEXACTITUDE.
Que ce soit parce que New York n'est PAS devenue une grand
prison à ciel ouvert en 1997, ou parce-que les avenirs imaginés avant la
seconde moitié des années 90 ne pouvaient en général même pas concevoir
l'impact qu'aurait Internet et la communication mobile sur la science et la
société, une anticipation devient rétro-futuriste quand elle s'avère être dans
l'erreur, et que ce qu'elle dépeint comme avancées est en fait déjà dépassé, ou
carrément devenu improbable.
Mais alors, pourquoi continuer à s'intéresser à des faux
futurs qui sentent la moquette ?
Pourquoi des rétro-futurs ? Et ben pourquoi pas !
Le
premier, et le plus flagrant des intérêts des rétro-futurs, c'est de rester
cohérent avec l'œuvre d'origine qui l'a engendré, si c'est l'œuvre qui nous
plaît.
Jouer dans un univers inspiré du Metropolis de Fritz Lang a
beaucoup moins d'intérêt si on y introduit une informatique/robotique plus
cohérente, ou que l'on aligne la logique de l'immobilier sur celle d'après la
crise des sub-primes.
Illustrations et gabarit des vaisseaux de Lady Blackbird, un mini-jeu qui amène le steampunk et les pirates dans un espace respirable, et plein d'aventures. |
Le rétro-futur est donc déjà intéressant pour conserver
l'intégrité d'une source, quand on se base dessus.
En plus, il permet ainsi de s'emmitoufler aussi de nostalgie
primaire, pour ceux dont tel ou telle œuvre a marqué une époque, un âge, et
peut-être déjà une façon de jouer.
Mais son intérêt peut aller au-delà de cette optique
première.
A condition de bien cerner ce qu'on veut en tirer, des
éléments rétro-futuristes peuvent très bien puissamment contribuer à créer une
ambiance et un effet unique pour une tablée de JdR.
Je me suis récemment penché sur un "vieux" jeu de
rôle français, Berlin XVIII.
Berlin XVIII (ancêtre direct du plus récent COPS, pour ceux
qui connaîtraient) propose de jouer des agents de police spécialement
polyvalents, dans le secteur historique (le fameux XVIII) d'un Berlin décadent
et surpeuplé des années 2060 à 2070 (selon les éditions).
Mais ce qui rend sa lecture si particulière, c'est que
l'édition la plus récente date de 1993.
L'anticipation de Berlin XVIII n'a pas pour vocation d'être
"réaliste"… mais même ainsi, elle contient son lot d'éléments
fascinants, car contre-dits depuis par le déroulement de notre histoire: les
pays de l'Est n'ont pas renoncé au socialisme, même après la chute de l'URSS,
et une guerre s'en est suivie. Les Etats Unis ont bien connu une crise
financière, mais au lieu de l'étendre au reste du monde, elle les a
littéralement plongés dans la ruine, et c'est l'Union Européenne qui est devenu
la première puissance mondiale. Et surtout, SURTOUT, pas d'internet ! Pas de
téléphonie mobile omniprésente et efficace. Pas de fichiers centralisés et
connectés pour la police, pas d'experts à la CSI avec une technologie de pointe
pour changer radicalement le déroulement des enquêtes. En gros, et probablement
involontairement au moment de son écriture, Berlin XVIII propose un avenir dans
lequel la police (et une bonne partie de la société) est un pur reflet de ce
qu'elle était dans les années 80/90, avec ses limites, ses moyens et ses
façons.
Pour les joueurs, ça signifie jouer à un jeu de flics
futuriste, mais à un jeu de flics futuriste au style, aux scénarios et aux
modalités bien particulières, parfois aux antipodes même de ce que les médias
modernes peuvent leur fournir comme exemple.
Et ça, ça a trouvé le moyen de m'intéresser méchamment.
Parce que ça crée une ambiance. Parce que ça dépayse.
Parce que ça fait exactement ce que je peux attendre d'un
jeu de rôle: me proposer un AUTRE univers, quelque chose d'inattendu, quelque
chose qui m'amène AILLEURS.
Rétro-futurs déclinés, mais une ou deux logiques communes
Aujourd'hui,
non seulement les progrès technologiques et les changements sociaux radicaux
ont rendu pas mal d'anticipations des années passées "obsolètes" (et
donc rétro-futuristes), mais en plus, le style est devenu mode.
Le jeu de rôle justement nommé "Rétro- Futur". Un cas d'école dans la construction volontaire du genre. |
De plus en plus d'univers fictifs s'imprègnent de
rétro-futurisme, peut-être autant pour se démarquer que pour, parfois, fuir le
trop grand pessimisme des spéculations réalistes actuelles.
Dans le jeu de rôle, les mouvements Steam-Punk (un genre qui
s'intéresse à un progrès technologique moins industrialisé, et surtout sans
l'avènement massif du moteur à explosion, avec plus de vapeur et de rouages)
ont la part belle, autant dans la production papier que dans les
Grandeurs-Nature.
Le jeu vidéo non plus n'échappe pas à la vague, avec le
Steam, mais aussi le Diesel-punk (cette fois AVEC moteurs à explosion, mais
dans un stylistique et une méthode de production qui reste enracinée dans les
années 50) surgissent de-ci, de-là, quand ce n'est pas l'esthétique et le genre
d'action des années 80 qui viennent s'incruster dans le First Person Shooter.
Les exemples sont légions, mais ils permettent surtout de
dégager du coup quelques constantes dans ces rétro-futurs conçus
volontairement.
Tout d'abord, un point commun avec la plupart des autres
rétro-futurismes plus anciens, l'absence d'un réseau de communication
médiatique global et facilement accessible. Soit ce genre de technologie n'a
jamais vu le jour, soit elle est réservée à un élite (quand elle n'est pas
carrément l'apanage de l'ennemi ou du grand méchant).
Ensuite, la plupart du temps un décalage des valeurs
sociales, soit pour se raccrocher à une structure du passée (souvent idéalisée,
mais c'est aussi un plaisir de la fiction); l'Angleterre Victorienne a
particulièrement le vent en poupe dans ce genre, mais des patriotismes
exacerbés (et heureusement souvent dénués de la xénophobie systématique
habituelle), ou encore un individualisme forcené viennent juste derrière.
Enfin, ces deux éléments, quels que soient les
configurations, entraînent presque systématiquement quelque chose de très
propice au jeu (de rôle comme vidéo): les actions individuelles pèsent plus que
celles des communautés ou des factions globales. En gros, la plupart des
rétro-futurisme (puisant souvent dans des références temporelles où des grands
PERSONNAGES façonnaient l'Histoire) sont des univers propices aux héros et aux
actions d'éclat, là un des individus déterminés et entreprenants peuvent
vraiment faire la différence (même s'ils peuvent très bien avoir à lutter
contre des forces institutionnelles colossales pour ce faire).
Et en complément, je citerai peut-être un corollaire qui
n'est sans doute pas systématique, mais qui me paraît bien endémique au genre:
il paraît aussi moins délicat de remettre en question un univers
rétro-futuriste, et on hésite moins à le bouleverser.
Peut-être est-ce parce qu'il peut nous paraître plus
"fragile" à cause de son "incohérence", peut-être parce que
s'il s'appuie sur des anticipations dépassées, il nous vient plus facilement de
continuer à anticiper, sur la même piste ou une autre.
Mais dans tous les cas, j'ai la nette impression que les
univers rétro-futuristes sont plus aisément mis en jeu tout entiers, et que les
scénarios qui en découlent ont souvent assez naturellement un souffle épique
appréciable.
Accidentel
ou volontaire, le rétro-futurisme est donc une autre de ses ressources
"semi-cachées" des univers fantastiques, parce qu'il ouvre de
nombreuses portes.
Style et façon de jouer, nature des scénarios, plaisir de
spéculer et de questionner l'univers, il serait dommage en tout cas de
sous-estimer ce qu'il peut apporter à une table.
Sans oublier toutes ces "vieilleries" classieuse
au goût de Science-Fiction délicieusement suranné, avec en tête les
sempiternels "Rayons de la Mort" de Nikola Tesla, qui ont beau se
multiplier de partout ces derniers temps, mais qui ne perdent rien de leur
saveur.
En attendant de déterrer mon prochain sujet, je vais donc me
plonger encore un peu dans quelques lectures inspirantes au cas où le
rétro-futurisme ferait une incursion prochaine dans mes propres parties.
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