Dieux
et divinités sont des récurrences communes dans bon nombre d'univers
fantastiques.
Le grand ancêtre Donjons & Dragons introduisait déjà la
classe de Prêtre dans ses premières éditions, et dans le jeu de rôle, difficile
d'échapper au concept dès que l'on quitte le territoire du réalisme ou de la SF
la plus traditionnelle. Depuis quelque temps, les Dieux s'invitent même dans
les voyages spatiaux et les empires galactiques.
Mais ces divinités, totalement fictives ou plus ou moins
inspirées de représentations religieuses réelles, ont bien plus de potentiel
qu'une simple toile de fond mystico-culturelle.
Souvent les entités les plus puissantes disponibles dans
l'univers de jeu (et au moins toujours dans le peloton de tête sinon), les
dieux peuvent vite devenir des référents, des protagonistes ou des antagonistes
pour les héros.
Et dans tous les cas, il est presqu'inévitable que les
joueurs s'y intéressent, ne serait-ce que parce que ces Dieux sont les sources
d'un nombre variable de pouvoirs et de manifestations qu'ils risquent de
rencontrer.
Et, d'expérience personnelle, j'ai pu observer que des
joueurs un peu inquisiteurs (jeu de mots involontaire) et impliqués ont tôt
fait d'obliger plus d'un meneur de jeu à avoir le concept de divinité bien
mieux en main qu'il ne l'avait prévu, assailli de questions, de théories ou de
tentatives d'utilisation (somme toute légitimes, souvent) de ces puissances par
les joueurs. Et comment dire à un prêtre théologien que non, il n'aura pas de
réponse sur des questions même les plus simples (alors que le JEU lui proposait
la classe et la spécialisation), sous prétexte que le sujet est à peine survolé
dans le matériel de jeu, ou que le maître de jeu n'avait jamais prévu de
traiter plus que ça de la question des divinités ?
Aujourd'hui, je vous propose donc de faire un tour d'horizon
absolument pas exhaustif de certaines questions de base auxquelles il peut être
utile d'avoir un embryon de réponse quand on aborde un jeu dans lequel il y a
du divin qui traîne…
En avant c'est parti !
D'abord et avant tout : Quelle utilisation en jeu ?
Il est
logique de se poser cette question pour pratiquement n'importe quel élément
d'univers ou de scénario, en général, mais avec les Dieux, cette question
devient la priorité numéro 1. Parce que cette réponse va conditionner toutes
les autres. Et elle n'est pas anodine.
Au vu de leur position, de leur puissance et de leur rôle
particulier de DIEUX (avec tout ce que ça peut amener de cultes, de cultures,
d'omniscience relative et tout le tremblement), nos chères divinités peuvent
très vite prendre une place centrale alors qu'on ne l'avait pas prévu mais
qu'en cours de jeu, on se rend compte que en fait, ils ont forcément un impact
sur ci ou sur ça… et donc sur ça aussi… ah et puis ça aussi… etc. Et très vite,
on peut se faire déborder par des Dieux omniprésents alors qu'on ne l'avait pas
prévu.
Et à l'inverse, alors qu'on se lançait avec joie dans une
aventure qu'on espérait tragico-classique, avec de grandes tirades adressées
aux cieux, d'enfants adultères semi-divins et de jalousies entre Dieux et
mortels… on se retrouve avec des joueurs qui relèguent les Dieux au second rang
qu' on a mal équilibré la question et que les divinités n'apportent rient au
jeu directement et qu'elle sont du coup très logiquement ignorées la plupart du
temps.
Dans tous les cas, l'impact ou l'absence d'impact des dieux
sur l'histoire est un facteur qu'il vaut mieux déterminer en avance, pour
pouvoir façonner le reste sur mesure et ne pas se retrouver le bec dans l'eau.
Pour toutes les questions suivantes, il est donc utile de
garder en tête quel est l'objectif final, et à quoi les Dieux vont concrètement
être un outil de jeu.
Une question de style
Corollaire
à la première, mais un peu plus précise, une des premières choses utiles à
savoir et comment les Dieux PENSENT (et agissent, du coup).
Les Dieux de l'Olympe: une joyeuse bande d'enfoirés, avec des motivations souvent TRES, TRES humaines... |
Parce qu'il y a une sacrée différence entre des divinités
Olympiennes qui se comportent en à peu près tous points comme des mortels (bien
arrogants en plus, parfois), avec des qualités et des défauts très humains, et
des forces cosmiques étranges et complexes qui ne voient l'univers qu'en
ensembles de règles, de forces et de pouvoir.
On ne va ni les prier ni les craindre pour les mêmes
raisons.
Savoir sous quel angle prendre et présenter ses divinités
est donc un premier pas fondamental dans leur constitution générale.
Evidemment, rien n'empêche un univers fantastique d'avoir des
types de divinités très différents en même temps, mais dans ce cas, on peut se
laisser au moins une seconde de réflexion pour savoir comment ils interagissent
et éventuellement, se hiérarchisent.
Des Dieux et…. Des Dieux
Cthulhu; techniquement, une divinité (à notre échelle). Dans son propre panthéon, simplement un "Grand Prêtre"... comme quoi, tout est relatif. |
Ce qui
nous amène à une autre question utile: comment les Dieux de votre univers
peuvent-ils agir les uns avec, sur ou contre les autres ?
De cette question dépendent un certain nombre d'éléments
cruciaux, comme l'existence ou non de panthéons, l'exclusivité ou non de
certains cultes, et même éventuellement les guerres de religions.
(Et accessoirement aussi la question éventuelle de la
reproduction divine, mais on y reviendra).
Savoir si (et comment) les dieux fraternisent entre eux,
maintiennent des distances respectueuses les uns avec les autres, ou se crêpent
le chignon avec enthousiasme est une question assez fondamentale aussi.
Une raison d'être
Ça peut
paraître évident dit comme ça, mais la question n'est pas toujours clairement
abordée, même dans des suppléments officiels: les Dieux, ils servent à quoi ?
Conan aura cherché toute une vie le fameux "Secret de l'Acier", dont le Dieu Crom est le gardien |
La réponse peut très bien être: à rien, à part à se gaver de
pouvoir et de complaisance, mais au moins c'est une réponse.
Plus globalement, la raison d'être des Dieux va conditionner
pas mal leur nature, leurs relations, et la raison pour laquelle les mortels
peuvent éventuellement les vénérer (s'ils sont au courant).
Pour des divinités, la question de la raison d'être va
souvent rejoindre celle de leur nature et de leur création/naissance même.
Qu'ils aient participé à la création du monde même, et s'en
sentent les seigneurs légitimes tout simplement, qu'ils soient les incarnations
conscientes d'une lutte cosmique entre des forces primordiales, qu'ils naissent
des croyances primaires de mortels et s'évertuent ensuite à les entretenir et
les renforcer en retour avec leurs pouvoirs(et dans ce cas rien n'empêche
l'apparition régulière de nouveaux-venus, attention) ou qu'ils soient les
enfants de quelque créateur premier, chargés d'entretenir tout ou partie de la
création, les options sont nombreuses.
Mais elles vont systématiquement déterminer les actions et
comportements à court aussi bien qu'à long terme des divinités, et profondément
marquer les éventuels commandements qu'ils vont donner à leurs fidèles mortels.
Là aussi, rien n'empêche une éventuelle diversité, mais bien
utilisée, la question de la raison d'être permet de donner beaucoup plus de
relief aussi bien à une divinité qu'à ses cultes et suivants.
Un pouvoir PHENOMENAL (dans un vrai mouchoir de poche)
Une des
choses qui caractérise la définition même de divinité, c'est la notion de
pouvoir.
Et par là, on entend surtout la façon dont se MANIFESTE ce
pouvoir: sortilèges maniés par les fidèles, apparitions, catastrophes,
désastres et miracles, les dieux ont toute une panoplie avec laquelle se faire
remarquer du monde et des mortels.
Poséidon, un Seigneur des Mers qui n'a besoin d'aucun fidèle pour assurer sa suprématie |
Mais, parce que les questions peuvent vite devenir fâcheuses
quand un pieux fidèle (et surtout un JOUEUR qui veut son dû en matière de
personnage) a l'impression que sa divinité ne vaut pas la culte parce qu'il
n'est pas satisfait par une certaine inconstance ou incohérence dans les
pouvoirs cosmiques sus mentionnés, il peut être avisé de prendre deux minutes
pour réfléchir à la mécanique générale des pouvoirs célestes.
Les Dieux ont-ils des pouvoirs illimités (dans leur domaine
de spécialité au moins) ? Dans ce cas, pourquoi ne s'en servent-ils pas en
permanence ? Y'a-t-il des règles qui les en empêchent ? Ou simplement un dédain
pour le monde mortel ? Dans certaines mythologies, les Dieux sont effectivement
presque omnipotents, mais les mortels les ennuient plus qu'autre chose.
Est-ce parce qu'ils ont leur propre monde/royaume, et
d'autres préoccupations ?
Ou au contraire les capacités des Dieux à intervenir (au
moins dans NOTRE monde) sont-elles limitées ? Dans ce cas, d'où vient le
pouvoir qui le permet ? Si la réponse est: du culte des fidèles (la réponse la
plus fréquente), pensez au travail de VRP assidu que fera une divinité
intelligente pour s'assurer une église bien active, qui en retour lui donnera
du pouvoir pour agir, donc être encore plus visible, donc plus vénérée, etc….
Si tous les Dieux fonctionnent comme ça, il serait logique que les prêtres
fassent preuve d'un acharnement proprement EPIQUE pour promouvoir leur(s)
Dieu(x) sous le meilleur jour possible.
Si on croise cette question avec celle de la raison d'être,
on commence déjà à avoir une idée plus précise de la nature et du fonctionnement
global du divin dans un univers donné.
La relation avec les fidèles
Là, on
est au pivot, entre ce qu'on peut prévoir des Dieux en tant que concepteur
d'univers, et le jeu à proprement parler.
Parce que, à moins que les Dieux ne marchent librement dans
le monde en personnes, la représentation la plus répandue et connue d'une
divinité sera celle que ses fidèles en donneront.
Et ça, ça dépend directement de ce que la divinité donne et
dit à ses fidèles.
Dans nos univers de jeu autant que dans les œuvres qui les inspirent, la religion, sous une forme ou une autre, reste en général incontournable |
Toutes les attitudes sont possibles, mais pour garder une
image typiquement divine, il y aura presque toujours une certaine distance
métaphysique (et en général très physique aussi) entre un Dieu et ses suivants
mortels.
Mais ensuite, c'est question de sensibilité pour la
narration.
Les Dieux sont-ils sibyllins et mystérieux, voire très
souvent silencieux ? (Peut-être parce que, comme on l'a vu, c'est leur nature
même qui est ainsi).
Ou au contraire éloquents, couvrant leurs adeptes de visions
et de révélations ?
Sont-ils exigeants en matière de culte et d'orthodoxie ?
Quelles sont leurs demandes ?
Toutes ces questions vont déjà trouver la moitié de leurs
réponses dans la nature, le style et la raison d'être des divinités en
question.
Mais l'autre moitié, celle encore à définir, va très
directement conditionner la place et la forme que va prendre la notion de
RELIGION dans votre univers.
Des questions utiles, comme "est-ce que seuls les
prêtres sont pratiquants ?", ou encore "comment le peuple vit-il avec
les dieux, et les temples ?" trouvent leurs réponses ici. Et celles-là
sont essentielles, parce qu'elles vont vous permettre d'avoir au moins une idée
vague de la cohérence que vous pourrez donner à votre jeu.
L'après-vie, ça concerne les Dieux ?
Même si
cette question rejoint fortement celle de la raison d'être, je lui accorde un
petit chapitre à part entière, parce qu'elle touche aussi un autre domaine de
la métaphysique fictive de votre jeu.
Si l'âme survit au corps dans votre univers de jeu... où va-t-elle ? |
Dans de nombreuses mythologies, en plus de faire leur vie de
Dieu, les divinités ont un lien plus ou moins étroit avec ce qui arrive aux
mortels après le trépas.
Parfois, ils sont les simples garants, presque purement administratifs,
de fait que les morts restent morts, et les vivants vivants… parfois, ils sont
centrés autour du concept d'après-vie, jugeant la valeur des âmes selon
certains critères, pour les accueillir ou les rejeter.
Et encore, parfois, ça ne les concerne en rien…
Mais avec le nombre de jeux qui associent les pouvoirs
d'origine divine à la guérison, la résurrection, et les morts-vivants divers et
variés, la question peut en général se poser un peu.
Si les Dieux ont effectivement une place dans l'après-vie
pour les mortels, c'est un argument de vente non-négligeable si c'est la
vénération qui leur fournit le pouvoir. En général, autant la divinité
elle-même que son clergé vont sacrément mettre ça en avant.
Si au contraire leur pouvoir est indépendant, alors
peut-être est-ce l'affection qu'ils peuvent développer pour les mortels qui va
assurer à ces derniers un confort posthume. Selon à quel point ce savoir est
répandu, plaire aux Dieux peut donc devenir un passe-temps assez central pour
ceux qui visent un "paradis" précis.
Ou alors il n'y a qu'un seul gardien de la mort, qui ne fait
pas (ou pas trop) de distinctions, et la question de l'après-vie ne va pas se
poser plus que ça. Par contre, les potentielles aventures fantastiques qui
attendent ceux qui veulent franchir la frontière de ce royaume dans un sens ou
un autre, pour revenir à la vie, ou partir en quête du savoir oublié que seuls
les morts possèdent encore deviennent légion.
Mais, dans tous les cas, si la question d'une après-vie est
abordée, et c'est pour ça que j'ouvrais cette petite parenthèse, elle implique
souvent une forme ou une autre d'immortalité de l'âme.
Et quitte à traiter autant de métaphysique et de mysticisme,
autant en profiter pour statuer une bonne fois pour toute sur cette question
corollaire aussi, non ?
Le chemin vers la divinité
La
dernière question que j'aborde ici est un peu plus subsidiaire, mais elle peut
avoir son importance.
Comment peut-on DEVENIR un Dieu ?
Parfois, la réponse va être un très simple: on ne peut pas.
Point.
Les enfants des Dieux naissent-ils Dieux à leur tour ? |
Mais elle aussi peut devenir très intéressante si cette
possibilité existe bel et bien… Dans ce cas, comment détermine-t-on les
candidats potentiels ? Y'a-t-il besoin de l'approbation d'autres divinités, ou
peut-on au contraire réussir à la force du poignet ? Plus tordu: si les Dieux
naissent des croyances des mortels, peut-on s'élever à la divinité en se
faisant passer pour un Dieu ? Et est-ce qu'un nouveau Dieu est l'égal de ses
pairs, ou au contraire un avorton dans une cour de grands ?
Mais, avec en main toutes les réponses précédentes, sur la
nature, l'objectif et le fonctionnement des divinités, il devrait de toute
façon être assez facile de trouver la réponse qui vous correspondra la mieux.
Et au passage, profitez-en pour vous demander (j'en parlais
plus haut) si vos Dieux sont fertiles, et dans ce cas, ce qui se passe quand
ils ont un enfant… entre eux, ou avec des mortels. Nouveau Dieu ? (et quel
genre de Dieu alors ?) Demi-Dieu ? Héros bien mortel, mais doté de capacités
hors du commun ?
Les mythologies réelles regorgent d'exemples fort
heureusement, et peuvent servir d'inspiration à tout va. Et encore une fois, si
on a suffisamment de réponses en amont, il ne devrait pas être si difficile de
trouver une réponse cohérente.
Voilà donc
un tour d'horizon du genre de questions qui peut aider à construire une
mythologie fonctionnelle.
Ces questions, je les dois majoritairement à mes joueurs,
directement ou indirectement, parce que j'en ai de cette sorte qui peuvent
mettre la cohérence d'un univers à mal sans même le vouloir si elle est trop
fragile, simplement parce qu'ils aiment s'impliquer dans l'aventure et le
monde.
Alors j'espère avoir partagé quelque chose d'utile, parce
qu'ils ne sont sûrement pas les seuls… et que je n'ai jamais autant pris
plaisir à faire vivre des univers que quand ils suscitent assez d'intérêt pour
être décortiqués et détaillés de cette façon.
Et c'est tout le mal que je vous souhaite.
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