Coin lecture: Ashen Stars




Aujourd’hui, on exhume un peu avec un jeu sorti en 2011 dans la langue de Shakespeare, et jamais traduit, dont je vais dire beaucoup de bien.
Enfin, sur le background au moins.

Le jeu, c’est Ashen Stars, un space-opera de Robin Laws sous le système Gumshoe (Cthulhu, Esoterroristes, Night’s Black Agents, etc…).
Alors le système Gumshoe n’est pas ma tasse de thé, même s’il a bonne presse auprès d’une bonne partie de la communauté rôliste internationale. Je pense même qu’il fait bien son boulot, à savoir proposer une manière technique de gérer les jeux d’enquête sans laisser tomber les scenarii dans des impasses. Mais question de goût sans doute, il m’a jamais parlé.

Pourtant, j’ai lu Ashen Stars de bout en bout, et avec délectation. Parce que je trouve que le background de ce jeu est tout simplement exceptionnel.

Si on devait vraiment le résumer en version courte, ce serait Les Experts : Mass Effect (avec un pointe de Star Trek peut-être). Mais c’est tellement plus que ça.



Un background riche, et aux principes simples…


Le background d’Ashen Stars, dans son ensemble, est un sacrément gros morceau. Heureusement, il est découpé et présenté d’une manière très digeste, avec parfois quelques répétitions qui sont bien plus pédagogiques que redondantes.
Dans les grandes lignes, c’est un space-opéra avec les bases du genres (extra-terrestres anthropomorphes ou à peu près, voyage plus rapide que la lumière, une galaxie particulièrement habitée, etc…).

Mais ensuite viennent les particularités. Tout d’abord parce que le jeu propose de jouer non pas dans toute la galaxie, mais seulement dans un secteur spécifique, le Bleed (« la Saignée »), une zone frontalière qui a connu une expansion rapide et qui est largement colonisée par tous les protagonistes présents, et qui souffre de TOUTES les problématiques qui sont au cœur des conflits de ce background.

Car la galaxie, qui vivait prospère sous l’égide du Concordat (« The Combine » en VO) a connu il y a de ça plusieurs années une grande guerre contre un ennemi extraterrestre d’une puissance inégalée, qui a été remportée de justesse (apparemment, mais j’y reviendrai), mais qui a laissé l’utopie spatiale exsangue et incapable de continuer à subvenir de façon unilatérale aux besoins de toutes ses colonies.

Des zones comme le Bleed se sont donc retrouvées marquées non seulement par la guerre, mais en plus soudain isolées pour se reconstruire. Les moyens illimités du grand concordat post-communiste qui assurait à tout le monde une possibilité d’épanouissement au-delà des besoins matériels ayant disparus, c’est à nouveau la nécessité qui fait loi. Certaines planètes sont autonomes, d’autres pas, et tout le monde a encore des rancœurs  et des griefs de la grande guerre, et tout le monde rêve maintenant d’un avenir où les intérêts personnels, raciaux et idéologiques sont à nouveau en conflit.


La carte du Bleed, la région de jeu proposée. Le contenu des amas d'étoiles (Clusters)
n'est volontairement pas plus détaillé pour permettre d'y glisser autant d'étoiles que
l'on veut. C'est simple, et ça fait le boulot.




… où on est au cœur de l’action…


Le premier coup brillant de la proposition de jeu vient de ce que les PJs sont censés interpréter. Des équipages missionnés par le Concordat replié dans le noyau, autonomes, mais reconnus de facto par toutes les autorités planétaires ou presques, qui sont payés pour « résoudre des problèmes ». TOUT type de problème. Parce qu’il n’y a presque plus personne qui ait les moyens de s’occuper du grand ensemble des choses, parce que les problèmes de juridiction entre mondes qui ne se reconnaissent pas forcément comme des égaux sont légion, parce que plus personne n’est là pour faire le job des vaisseaux du Concordat, et qu’on est obligé de faire appel à un corps de mercenaires vaguement assermentés pour tous ces moments où ça déconne grave.

Les PJs sont donc à la fois les héros à tout faire, les potentiels légataires d’un idéal galactique, et des mercenaires pragmatiquement liés à la paye de leurs missions pour continuer à faire tourner leur vaisseau et leurs vies. En bref, il y a TOUJOURS au moins une bonne raison de partir à l’aventure.

Sachant que l’on construit les persos y compris avec leur propre rapport à la guerre (qu’ils ont forcément vécue), et aux idées politiques et idéologiques de leur environnement.

Et c’est là que le background fleurit littéralement.




… et des coups de génie qui subliment les clichés.


Parce que dans ce background au concept central simple, rien d’autre n’est unilatéral. Tout est mystères, contradictions, tensions et questionnements.

A échelle de personnage, les choix à la création côté background sont nombreux. Des différents alignements politiques plus ou moins flous ou assumés (est-ce que ça vaut la peine d’essayer de reconstruire selon les idéaux du Concordat alors que celui-ci ne se relèvera peut-être jamais ? Est-ce que les fédérations spatiales ont plus de sens que les gouvernements centralisés ? etc…), en passant par les questionnements existentiels toujours en plusieurs teintes qui accompagnent chacune des races jouables proposées dans le livre de base (Les Cybes par exemple, sont des super-soldats biologiquement et cybernétiquement augmentés datant de la guerre. Aujourd’hui, leur réintégration dans l’humanité est autant une possibilité que leur revendication à devenir une espèce transhumaniste à part entière. De même, les Phages, une espèce insectoïde particulièrement vorace, s’est, au nom du Concordat, imposé des limitations génétiques, alimentaires et de natalité particulières, dont la pertinence est maintenant remise en question).

Autant de thématiques qui impliquent le personnage dans l’univers dans lequel il va vivre ses aventures.

A l’échelle de la construction de scenario, à laquelle est consacrée tout un chapitre du livre, cela se traduit par une proposition de toujours introduire une forme ou une autre de twist qui remette en question les enjeux et les motivations des partis du problème auquel les PJs seront confrontés. Que ce soit à travers les nombreuses zones de tension du background des peuples et des zones spatiales, ou des thématiques du jeu d’enquête avec des retournements de situation, tous les conseils sont là pour aider le MJ à ne jamais laisser les choses être aussi simples qu’elles en ont l’air de prime abord. Sur ce point, le background du jeu regorge d’idées à chaque élément social et culturel qu’il évoque, à tel point que je ne saurais tout simplement pas en faire une liste ici sans en oublier la majorité. Tout ce qui est présenté dans le livre de base a clairement pour optique d’être joué, et pas seulement visité de loin. L’écriture est tout simplement brillante sur ce point.

Enfin, à l’échelle de l’univers de jeu, on se voit proposer plusieurs pistes possibles pour des méta-arcs scénaristiques si on veut jouer à grande échelle.

Ainsi, le mystérieux ennemi probablement vaincu quelques années plus tôt est… un mystère total pour tout le monde. Dû à un « effet fantôme », tous les souvenirs précis de QUI était l’ennemi, de ce à quoi il ressemblait, ou quelles étaient ses motivations ont été tout simplement effacés à échelle galactique chez tous les peuples. Tout le monde se souvient bien s’être battu, âprement, et à quel point la guerre était violente, mais plus personne ne peut dire contre qui on se battait, et un flou mental frappe, voire rend fous ceux qui insistent pour essayer de retrouver des données à ce sujet. Sont-ils vraiment vaincus, ou sont-ils toujours parmi nous ? Et si, comme certains le prétendent, la guerre n’était pas vraiment finie, et l’effet fantôme n’était qu’une nouvelle ruse de l’ennemi ? Une vraie dose de X-Files à ajouter ou non à votre tablée.

De la même manière, le jeu tire son nom (Etoiles de Cendres) d’un effet spatial qui décolore temporairement les soleils de façon apparemment aléatoire pendant quelques minutes de façon inquiétante, phénomène qui s’accompagne de distorsions des lois spatiales et physiques, justification in extenso à toute sorte de scenarii uniques aux anomalies inhabituelles. La aussi, rien n’oblige à focaliser le jeu dessus, mais la ressource est là pour pousser à l’enquête.

Au pire pourra-t-on regretter que le livre n’apporte volontairement pas de réponse définitive à ces questions, même s’il ne manque pas de suggérer des options, ce qui laisse à la charge de chaque tablée de trouver ses propres résolutions à ces mystères. Personnellement, cette ouverture me convient d’autant plus que je ne serais pas sûr d’apprécier pousser le jeu jusque dans la résolution de ces questions d’échelle galactique, mais là aussi, c’est affaire de goût.

Il y a  déjà tellement à jouer par ailleurs dans ce jeu.




Et du matériel supplémentaire de qualité en plus !


Eh oui, en plus d’être un excellent univers de jeu, la gamme propose, chose plutôt rare aujourd’hui, pas moins de trois recueils de scénarios, dont la lecture m’a tout bonnement enthousiasmé, moi qui suis d’habitude assez rétif aux scénarios du commerce. Il y a de l’enquête, de l’action, des idées, même de nouvelles espèces et menaces, et au passage un scénario en particulier qui fera le délice de tous ceux qui ont trouvé que le comportement des personnages du Prometheus de Ridley Scott était une aberration. Un régal.

Ajoutons-y enfin la bonne surprise d’une courte mais efficace bande originale expressément composée pour le jeu et disponible en MP3, qui fleure effectivement bon le Mass Effect il faut l’avouer, et on est vraiment outillé pour jouer.
Une bande originale officielle, rien
que ça...




En note finale, j’ajouterai que le jeu est parsemé de petits encarts rédigés par l’auteur pour donner note d’intention et conseils d’ambiance sur les éléments du jeu, selon une tonalité qui veut que Ashen Stars pourrait être le reboot moderne et plus sombre d’une vieille franchise de science-fiction télévisuelle pleine d’optimisme et de bons sentiments, ce qui justifie autant son utilisation que son détournement des clichés classiques de ce type de série.



En ce qui me concerne, hors système Gumshoe, qui n’est pas chevillé dans le corps du background, ce jeu est un pari gagné à tous les niveaux, parce qu’il donne envie de jouer et jouer encore…

Voilà.

Commentaires